Le café grouillait de monde en ce doux début d'automne.
Dans cinq, six jour les météorologues promettaient une forte baisse de la température, tout le monde profitait de cette dernière douceur.
Un brouhaha incessant déversait son flot de paroles, de rires, d'appels aux garçons de bar, de mouvements de chaises...
Attablé seul devant son verre, Marcel attendait, regardant vaguement l'écran de son ordinateur portable, les résultats de sa vengeance.
Cela faisait trois ans qu'il avait démissionné de l'établissement financier qui l'employait après qu'il se soit retrouvé placardisé dans un bureau minuscule dans lequel se trouvait juste une chaise, une table et une vieille bécane informatique, tout cela parce qu'il avait eu le malheur de prévenir sa hiérarchie des risques de faillite que courrait l'entreprise et l'économie mondiale.
On ne laisse pas un génie en informatique comme lui dans cette situation là même si sa machine est ancienne, presque antique, c'est dangereux.
Il avait donc, patiemment, pendant un an, façonné puis déposé son virus dormant, lui le spécialiste avait contourné tous les barrages et anti-virus que ses confrères avaient mis au point puis, lorsque tout avait été mis en place, il avait déposé sa démission à une direction qui n'y avait vu que du feu.
Il faut dire que rarement il avait rencontré un tel ramassis d'idiots qui, ce qui n'arrangeait pas les choses, tâtaient de ces produits illicites donnant le vertigineux sentiment de toute puissance mais qui en réalité ravageait les cerveaux et leurs processus synaptiques.
"Ces petits malins verront bien sous peu..." Pensa-t-il.
Il regarda sa montre, encore trois quart d'heure, il avait déjà attendu ce jour quatre ans, il pouvait bien patienter quelques minutes.
Il se laissa aller à se souvenir de son embauche, la joie qui était sienne de recevoir sa première paye, importante, des premières années candides, presque naïves, ne comprenant pas les traces blanches laissée par la drogue sur les miroirs, les discours impétueux, hystériques voire incohérents suivit d'un air dépressif, parfois hébété de certains, les sorties avec les confrères qui rapidement le fatigua, les conversations économiques avec les diplômés d'écoles commerciales auxquelles au début il ne comprenait rien mais dont ensuite il réalisa les incohérences, le ton des cadres dirigeants qui paraissait ferme et résolu et n'était en réalité que de la suffisance..., puis son isolement, "surtout pour ne pas le laisser au contact de quiconque, on ne sait jamais ce qu'il pourrait raconter et à qui, mais le conserver comme bouc-émissaire au cas où les choses tourneraient mal", il y en a eu quelques exemples dans la planète finance.
Mais le lampiste potentiel ne s'est pas laissé faire, s'est protégé des risques qu'on lui fasse porter n'importe quel chapeau puis a déversé son poison informatique à son entreprise ainsi qu'à l'ensemble de la finance mondiale, petit à petit, lentement, discrètement.
Tous, en vrai, il les hait!
Plus que trente minutes.
Il se surprit de fredonner la musique du film "l'arnaque".
Il héla le serveur et lui commanda un nouveau verre de vin, calme et tendu à la fois.
Il y a quelque temps il avait hésité à annuler toute l'opération puis s'était ravisé, cette crise prochaine arrivera, quoi qu'il se passe, et il n'a fait qu'en accélérer les mécanismes et, au contraire, faire que sa mise en branle advienne plus tôt ne peut qu'en minorer, bien que légèrement, les effets, en ces choses et vu la situation ce n'était plus que des questions de mois.
Plus qu'un quart d'heure.
A quelques tables de lui une femme le regardait, regard qu'il lui rendit d'un léger sourire.
Un homme venant de derrière lui vint à la rencontre de cette beauté un bouquet à la main, elle se leva, ils s'embrassèrent puis partirent tous deux.
Ce regard ne lui était pas adressé, se rendit-il compte un peu troublé et confus. Il les regarda s'étreindre puis, se retournant, les vit sortir et les suivit longuement des yeux...
Onze heure pile.
Il guetta les premiers signes qui tardèrent à arriver.
"Oui!" Dit-il tout bas quelques minutes plus tard en serrant le point.
Il paya ses consommations puis se leva et rentra chez lui.
Deux mois plus tard la ruine de l'économie monde était achevée.
THEURIC