Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Fiction 5) La veille de Noël

 

Leurs petits-enfants venaient de se coucher.

Le couple, assit dans le profond canapé faisant face à l'âtre qui, de temps en temps, laissait échapper, dans un léger claquement, une étincelle montant fugacement par la cheminée, sirotait un alcool de prune dans la semi-pénombre de la pièce.

Une lampe à pétrole, posée sur la table basse devant eux, rajoutait une faible lumière supplémentaire au feu qui brulait devant leurs yeux contemplatifs.

A leur droite, un sapin de noël, joliment décoré avec, à ses pieds, une profusion de cadeaux, attendait le retour du courant pour recommencer à clignoter.

La couverture épaisse, les recouvrant tous deux, suffisait à peine à les réchauffer.

Au-dehors, une neige lourde et froide tombait sans discontinuer depuis le matin, s'accumulant, au sol, de décimètre en décimètre, cette intempérie recouvrait progressivement l'ensemble de l'Europe, faisant suite et radoucissant un gel sévère et persistant

Ce fut dans l'heure précédente qu'il y eut la panne d'électricité.

La femme reposait sa tête sur l'épaule de son compagnon et, lui, caressait ses cheveux l'air songeur.

Le sentant soucieux, elle se tourna vers lui :

« Tu n'as pas à te tourmenter, » dit-elle, « tu fera au mieux...

-Sais-tu pourquoi la première ministre m'a voulu dans son gouvernement ?

-Non, j'imagine pour tes qualités. » Dit-elle en se tournant vers lui.

« Pour la gifle que j'ai donné à Albert, le camarade socialiste Albert, » dit-il d'une pointe ironie, « lors de notre dernière rencontre.

-Je me souviens de cela, c'était il y a deux semaines, avant le changement de premier ministre, vous discutiez d'économie et lui te parlait de la loi des marchés.

-Ça m'a mis hors de moi, la loi des marchés, l'imbécile, c'est à cause de cette loi fumeuse que nous sommes dans cette situation et ce crétin vient nous bassiner avec cette foutaise, et dire que j'y ai cru, moi aussi. Tu sais que ça s'était passé devant les caméras, je croyais ma carrière foutue, tu te souviens ?

-Ô oui, tu t'en es joliment lamenté. » Elle lui serra la main tendrement.

-Martine...

-Tiens, tu l'appelle Martine.

-C'est elle qui nous l'a demandé, tu es jalouse, toi, maintenant ?

-Non, je te taquine, vas-y, continue.

-Oui, donc, Martine, notre premier ministre, m'a montré le résultat du sondage qu'elle a fait faire sur ce sujet, j'obtiens, avec cette gifle, une superbe notoriété et une belle cote de popularité...

-J'ai vu ça à la télé, un sociologue a expliqué que c'était comme si tout le monde s'était défoulé à travers toi, le film de cette baffe est regardé par un nombre impressionnant de personnes sur le web, ça fait un terrible B.R. m'a dit Germain, ton petit-fils.

-Qu'est-ce donc qu'un B.R. ?

-Un bourdonnement de ruche en remplacement de buzz, depuis l'effondrement des U.S.A. Les mots anglais n'ont plus la cote et disparaissent. J'espère que ce n'est pas pour ça que t'es devenu ministre ?

-Je ne le pense pas, mais cette notoriété ne risque pas de durer bien longtemps, tu sais que nous allons établir des bons de rationnement ? »

Sa compagne se redressa tout à fait et le scruta intensément :

« C'est une blague ?

-Non, nous manquons de tout, sauf d'uranium, nous en avons une réserve pour trois ans, heureusement pour nos centrales, mais les autres pays européens commence à manquer de fioul pour les leurs de centrales et puis tu connais comme moi la pénurie d'essence, de gasoil et de tous les dérivés pétroliers que nous avons en ce moment, et si il n'y avait que cela, nous n'avons plus assez de stocke en quoi que ce soit, pas assez de nourriture, de métaux, de terres rares, de pièces détachées pour tout et n'importe quoi, plus de téléviseurs, enfin, pas assez, presque pas d'automobile en vente, plus d'ordinateur, tu te rends compte que dans mon ministère nos machines informatiques sont à bout de souffle et doivent être remplacées, mon premier travail à consisté à envoyer des gents de mon personnel dans des casses informatiques pour y trouver des pièces de rechange.

-C'est à ce point là ?

-C'est pire. Nous n'avons plus assez de personnel qualifié pour réparer ou mettre en marche les machines, quand l'usine existe encore, les usines ont quasiment toutes disparue d'Europe,sauf dans les anciens pays de l'est, mais eux ne veulent rien savoir pour partager le peu qu'ils ont, même l'Allemagne est en pénurie, pour tout dire, le gouvernement vient de nommer, en urgence, une équipe d'ingénieurs, de techniciens et d'architectes pour que nous puissions rebâtir un tissu industriel mais cela prendra du temps...

-Mais je ne comprends pas, comment cela se fait-il que nous soyons dans un tel dénuement, il y a peu de temps encore nous croulions sous les excédents et maintenant, en quoi, moins d'un mois, nous nous retrouvons dans cette indigence, pourrais-tu m'expliquer ?

-Il y a quatre facteurs...

-Là, tu fais ton énarque !

-Comment veux-tu que je te l'explique autrement ?

-Bien, alors, vas-y, je t'écoute.

-Ces quatre facteurs sont, primo, » dit-il en énumérant sur ses doigts en ayant sorti ses mains de la couverture, « la nationalisation des industries occidentales par la Chine, l'Inde, le Brésil et d'autres venant de l'effondrement économique de tous ces pays après celui du dollar et de l'euro, raison de notre bientôt retour au franc, deuzio, la mobilisation militaire progressive des deux géants asiatiques qui leur nécessite la réquisition de plus en plus importante de leurs ressources, ressources qu'ils nous vendent à un coût de plus en plus élevé, tertio, ces mêmes pays payent au prix fort les matières premières dont nous aurions besoin, pour l'énergie, par exemple, et nous, nous ne pouvons pas suivre, quarto, depuis la ruine de l'économie globale les transports aériens et maritimes sont en progressive déliquescence, cela dû à la raréfaction des échanges commerciaux et du tourisme, je ne connais pas le chiffre mais le nombre de transporteurs qui disparaissent est ahurissant, et ceux qui survivent le font grâce aux chinois et aux indiens. Sais-tu pourquoi nous avons régulièrement ces pannes de courant depuis le début de l’hiver, et ce n'est pas seulement une panne de secteur?

-Non.

-Le délestage, seuls les grands centres urbains sont privilégiés, partout en Europe, alors tu peux te dire que notre petit patelin ne peut que passer qu'au second plan. »

Un profond et court silence s'établit, ils terminèrent leur verre et le posèrent sur la table puis le téléphone cellulaire de l'homme sonna, il décrocha :

« Allo,..., oui,..., bien, je vous attendrais donc pour treize heure. » Il raccrocha. « Un véhicule militaire viendra me chercher demain, avec cette neige il n'y a que ce type de véhicule qui peut circuler, » dit-il, « je vais juste avoir le temps d'ouvrir les cadeaux avec les petits et manger avec vous demain midi, après, je file à Matignon où aura lieu une réunion interministèrielle je ne pense pas que nous puissions nous voir avant quelque temps ou alors viens me rejoindre à Paris.

-Je ne sais pas, je verrais. Je sens que je vais seule m'occuper des bambins pour les jours qui viennent du fait que Constantin et Gabrielle sont bloqués par ce mauvais temps.

-Ne dis pas que ce n'est pas pour te déplaire.

-C'est vrai, je crois que nous allons bien nous amuser, tous les trois. Le feu s’éteint, je te propose que nous allions nous coucher, et puis il n'est pas bien tard et un petit câlin serait plutôt bien venu, cela nous réchauffera, le lit doit être glacial. »

Ils s'embrassèrent tendrement puis se levèrent, lui, tenant la couverture.


THEURIC

Les commentaires sont fermés.