« Mais comment veux-tu que je fasse, nous manquons de tout, tu ne veux tout de même pas que je te le ponde, ton acier, nous avons fermé nos fonderies, nos aciéries, nos mines, nos papèteries, nos usines ont fondu comme neige au soleil, et même si certaines reviennent, tout a augmenté, le prix de la moindre fourchette a bondit de plus de mille pour cent, quinze euros pour une fourchette, te rends-tu compte ?
-Franc, et non plus euro...
-Franc, si tu veux. Et pour l'agriculture, ce n'est pas mieux, nous manquons de terre arable et il nous faut défricher par hectares entiers, nous manquons de fruits, de légumes, de céréales, nous n'avons même plus de métal pour fabriquer des conserves, nous avons abattu des cheptels entiers parce que nous ne pouvions plus nourrir le bétail, l'importation d'aliment pour bestiaux se fait au compte goute, et pour le carburant, c'est pire, près de soixante dix pour cent des voitures restent au garage faute de diésel, ceux qui ont une automobile à essence s'en sortent encore mais payent leur carburant une fortune, et tiens, mis à part le train, le reste des transports est quasiment bloqué, les bus, les camions sont en pane sèche, et j'ai dû réquisitionner ce que je pouvais en carburant pour les péniches, les transports ne fonctionne plus convenablement, je fais tout passer par voies de chemins de fer ou par bateaux... »
André laissait passer l'orage, il le connaissait bien, Loïc, organisateur hors pair, doté d'une volonté incroyable mais totalement réfractaire à toute autorité, entêté et râleur.
Mais combien avait-il raison, la situation de l'Europe et de la France est bien telle qu'il l'avait décrite, effroyable, pour calmer la population il avait fallu trouver des boucs émissaires, les banquiers et boursicoteurs véreux, les hommes politiques les plus magouilleurs et les cadres de l'administration malhonnête avaient servi d'exutoire mais maintenant l'effet de cette purge commençait à s'estomper, surtout qu'il avait fallu prendre des mesures impopulaires comme de demander aux chômeurs de défricher les sols, payés au S.M.I.G., c'était bien le moindre mais ça n'avait pas été simple de refaire travailler des personnes qui, pour certaines, ne savait même plus ce que c'était, il fallu aussi détruire des maisons de campagnes bâties sur des terres arables, de réquisitionner les retraités pour former les plus jeunes, de rétablir le service militaire ou de rouvrir les mines... .
Au moins d'avoir mis tout le monde sur le même pied d'égalité avait-il évité que les différences d'origine n'accentue le racisme, quand on met hommes et femmes de couleurs de peaux dissemblables ensemble sur de tels chantiers, la dureté du travail relie les gents plus que ça ne les sépare.
Cette réunion se passait chez André De Couberlin, conseillé du ministre du redressement productif, les satiristes disaient de lui : « le principal, avec lui, c'est de participer ».
C'était lui qui avait nommé Loïc Leguéan comme chargé de mission, ils avaient été tous deux sortis de leur placard en même temps, l'administration ne supportait plus, à l'époque, leurs critiques continuelles des choix politiques et économique que faisaient les hommes politiques de ce temps là.
Puis, il lui avait laissé toute latitude pour former son équipe et s'organiser. Cet homme accomplissait des prodiges.
Il était assis en face de lui, de chaque coté de la table sur laquelle étaient étalés les reliefs du repas, sûrement premier vrai diné qu'il avait du prendre depuis pas mal de jours.
« Je t'avais juste demandé comment tu t'en sort avec l'approvisionnement en acier... »
Un visage féminin apparu par l'encoignure de la porte :
« Eh, un ton plus bas, tout les deux, le premier qui réveille les enfants va se charger de les rendormir.
-Ne t'en fais pas, chérie, nous parlerons plus bas. » puis l'adjoint, se tournant vers son auxiliaire, « Alors, que ce passe-t-il pour l'acier, les entrepreneurs pressent le ministre de toute part, nous n'avons quasiment plus de réserve...
-L'équipe de technicien a réussi à remettre en route les deux derniers hauts-fourneaux qui avaient été éteint, ça n'a pas été une mince affaire, pour l'un d'eux cela faisait des années qu'ils ne fonctionnaient plus mais nous manquons de minerais...
-Je m'en occupe, j'ai demandé à Pierre Verneuille de lancer des pourparlers avec différents pays producteurs mais ça va nous coûter cher, et pour les mines, où en est-tu ?
-Beaucoup sont inondées, des pompes ont été installé pour celle qui ne sont pas trop délabrées bien que nous ne puissions être sûr de rien, ensuite il faudra attendre que ça sèche puis en contrôler l'état, certaines vont pouvoir être exploitées à ciel ouvert, ce sera plus rapide mais ça prendra tout de même du temps.
-Combien ?
-Avec un petit peu de chance, dans un trimestre il y aura les premières extractions. »
La femme de Pierre apparue portant en mains un plateau sur lequel il y avaient trois tasses fumantes de café, des petites cuillères et une sucrière.
Elle servit l'invité le premier.
« Sans sucre, merci. » Dit-il. Il bu une gorgé du breuvage bouillant puis, se tournant vers son hôtesse : « Dis-moi, Éveline, à ton avis, quel spectacle dois-je proposé à toutes les personnes qui triment en ce moment ? »
Elle réfléchit un instant puis dit :
« Propose leur toute sorte de spectacle mais de qualité, il faut, me semble-t-il, que tout le monde se souvienne de l'année passé ensemble comme les meilleurs de leur vie, surtout, il ne faut pas que quiconque s'ennuie.
-Je vois, merci Éveline. » Puis reprenant la conversation précédente : « Quand bien même nous avions le minerai nécessaire, deux hauts-fourneaux ne seront pas suffisant pour le pays et les autres pays européens ne sont pas mieux lotis que nous. Tu te rends compte que nous tous, pays européens, sommes contraint de mener une politique du tout état d'une planification quasiment communiste ?
-Qu'y a t-il de mal à cela ? » Demanda Éveline qui s'était assise après avoir servi le café. « Nécessité fait loi. Bien que nous puissions considérer, » continue-t-elle, « comme réalité qu'une mauvaise politique ne peut que mener à de la mauvaise économie il est tout aussi vrai qu'une bonne politique ne génèrera que de la bonne économie, en revanche je suis sûr que la meilleurs économie qu'il soit ne peut mener qu'à de la mauvaise politique, comme le disaient les anciens : « l'argent est un bon serviteur et un mauvais maître » et de quoi discutez-vous, messieurs, depuis tout à l'heure, sinon que de politique même si cela ne concerne qu'un pan limité de celle-ci : la réorganisation de la société après une calamité, et un effondrement économique est une calamité.
-Tu aurais dû, » lui répondit son mari en l'embrassant, « te présenter à des élections, ton esprit en ces choses est toujours aussi agile.
-Et moi je dis que nous ne sommes pas encore sorti de l'auberge, » répliqua Loïc, « pour construire de nouvelles usines, par exemple, il me faut du ciment, or, comme pour beaucoup de choses, le ciment, aussi, manque, nous en fabriquons, mais pas suffisamment, nous en consommons tellement que les fabriquant ont de la peine à fournir, il nous est même arrivé de reprendre de vieux truc comme le mélange de chaux et de vieille briques concassées...
-Loïc, » l'interrompit Éveline qui voyait les yeux de son époux se fermer, « excuse-moi de mettre un terme à votre conversation mais il se fait tard, peut-être serait-il bien que nous allions tous trois nous coucher, vous pourrez reprendre votre discutions demain, au petit-déjeuné ? Ta chambre est la première à droite en haut de l'escalier, la nôtre se trouve en face.
-C'est la première fois depuis mon enfance que quelqu'un m'envoie me coucher comme ça, » répondit-il en souriant, « mais j'obéis à ton ordre et c'est vrai qu'André m'a l'air de dormir debout. »
Et tous trois de monter.