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Fiction 8) Famine

 

Lord Henry Lowston aimait se retrouver à Paris, y muser dans les petites ruelles, s'arrêter dans l'un de ces minuscules squares si souvent discrètement dissimulés aux yeux de ceux qui n'y étaient pas voisin et parsemant les quartiers de la capitale.

C'était pour une mission de la plus haute importance qu'il était venu, ce jour là, en France et il avait donné, pour cela, rendez-vous dans un de ces lieux furtifs à un conseillé de la présidence française.

Il faisait froid.

Un pâle soleil de fin d'hiver tentait de réchauffer un sol qui n'avait connu que froidure et neige et il était possible de voir combien le dernier épisode neigeux fut rude par l'amoncellement de glace restant encore au sol là où l'ombre portée par les bâtiments empêchait tout adoucissement.

Enfin Patrick arriva à grandes enjambées, un large sourire au lèvre et tenant un sac plastique de sa main gauche et une baguette sous le bras.

Le Lord trouvait amusant ses manières très française sans être dupe que son propre style soit lui aussi si britannique, rien que son haut de forme qu'il troquait contre une casquette lors de ses voyages à l'étranger le montrait autant caricatural que son ami.

Patrick Delacase, martiniquais, était de ce teint mi noir, mi indien qui seul se rencontre dans les Antilles françaises.

« Bonjour Henry, » dit le conseillé avec son fort accent antillais et en lui serrant la main, « Qu'y a-t-il de si grave pour que nous nous donnions rendez-vous dans un tel endroit ? Tiens, vu l'heure de midi, j'ai amené de quoi nous restaurer. »

Et joignant du geste à la parole il sortit de son sac un couteau, un saucisson, deux verres et une bouteille de vin, posa le tout, avec la baguette, sur une grande serviette qu'il avait étalée sur le banc se trouvant près d'eux puis, tout en débouchant la bouteille à l'aide du tire-bouchon du couteau, il ajouta :

« Vas-y, je t'écoute.

-Patrick, la Grande-Bretagne est au bord de la famine, je viens ici, au nom de ma reine, faire l’aumône à la France et à l'Europe. »

Son interlocuteur faillit lâcher la bouteille, son sourire s'évanouit, il le regarda intensément :

« La situation est-elle si urgente ? Votre agriculture est-elle tant mal en point pour que vous ne puissiez plus nourrir votre population ?

-Nos hurluberlus tatchériens ont dilapidé le peu de ressources que nous avions encore et l'agriculture en fut particulièrement touchée, l'élevage a, de plus, souffert du scandale de la maladie de la vache folle qui s'étendit tout de même sur près de quinze ans, nous n'avons quasiment plus que les possessions agricoles royales et aristocratiques, à peine entretenues, pour nous alimenter et elles nous fournissent bien moins que le nécessaire, en fait nous n'avons plus que pour un mois de réserve en vivres, pourquoi à ton avis tant de mes compatriotes quittent, depuis des décennies, leur ile pour venir chez vous ?

-Ici aussi nos néo-libéraux ont ratiboisé notre agriculture. Tiens, mange ça, ça requinque » dit le conseillé en lui tendant un morceau de saucisson et de pain, puis il lui servit un verre de vin, « c'est un bourgogne, un petit exploitant le produit, tu m'en diras des nouvelles.

-Vous pouvez encore vous nourrir de cochonnaille et boire du vin, nous, nous avons le whisky, la City et la presse people, tu ne perds pas au change. Ton pain n'est pas mauvais non plus...

-Et le Commonwealth ?

-Chaque pays a prit son indépendance même si ce n'est pas officialisé, ils ont saisi l'occasion pour faire sécession et restent sourds à toutes nos demandes, je les comprends, chaqu'un d'eux ont également des problèmes à n'en plus pouvoir.

-Et qu'en est-il des émeutes du mois dernier ?

-Nous en sommes venu à bout mais maintenant nous faisons face à une menasse bien plus importante.

-Laquelle ?

-Le mouvement républicain à le vent en poupe et nous craignons de plus en plus un coup d'état, c'est la raison de ce rendez-vous discret, nous devons absolument cacher la réalité de notre situation sinon je ne sais pas dans quelles aventure cela nous amènerait.

-Bon, j'en parlerais à Pierre Verneuille, lui et Otto Stücberg sont de véritables magiciens et obtiennent ce qu'ils veulent de la commission européenne, la seule crainte d'un coup d'état au Royaume-Uni va faire que tout le monde va racler ses fonds de tiroirs pour vous faire parvenir ce dont vous avez besoin. Je te conseillerais que tout cela soit sous le contrôle de l'état...

-C'est le Prince Charles qui a pris les rênes du pouvoir, c'est lui qui a démissionné le précédent premier ministre, un fou furieux qui ne voulait que sauver la bourse, et je te prie de me croire que le prince se démène vraiment pour son royaume, je découvre un grand homme dans cette période troublée, en réalité c'est lui qui m'envoie, sa mère, la reine, vieillissante, ne mesure pas vraiment l'ampleur de la catastrophe.

-L’Écosse et l'Irlande ne peuvent pas vous aider ?

-Ils font ce qu'ils peuvent, c'est à dire pas grand chose. Patrick, nous sommes réellement dans la panade et il n'y a que l'Europe pour nous sortir d'affaire.

-Tu ne crains pas que la droite néo-libérale...

-Il n'y a plus de droite néo-libérale, le parti conservateur est royaliste, les démocrates libéraux ont quasiment disparu et le labour party se radicalise de plus en plus, devient républicain et constitutionnaliste, notre pays, comme le vôtre, est en train de changer, mais nous, nous sommes au bord du gouffre.

-J'ai compris. »

Tous deux se mirent à manger en silence. Deux pigeons s'approchèrent d'eux prudemment. Lord Lowston dit :

-Ne trouves-tu pas que ces deux volatiles ressemblent furieusement à nos pays respectifs ? »


THEURIC


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